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Être mortel, c'est l'état normal du vivant. Oui. Mais il y a les enfants.
Qu'ils meurent, cela n'est pas normal. Cela n'est pas acceptable. Mourir
d'être vivant, soit. Mais mourir sans avoir vécu, ou presque ? Cela semble
aller contre la logique, contre la morale, contre la vie même. Le pédiatre
Denis Devictor ne s'y habitue pas : «La mort de l'enfant est la naissance
de l'absurde.»
La révolte, toutefois, ne tient pas lieu de compétence, ni de soin, ni ne saurait
suffire, au chevet de l'enfant malade, à prendre la bonne décision, celle qui
sera conforme à la fois aux données actuelles de la science et aux exigences -
elles aussi actuelles, puisqu'elles évoluent - de l'éthique.
Dans quel but ? La santé ? Sans doute. Mais lorsqu'elle est impossible ?
Quand on n'a plus le choix qu'entre de mauvaises solutions (la mort ou
le handicap extrême, l'acharnement thérapeutique ou l'euthanasie...) ?
L'intérêt de l'enfant ? Certes. Mais qui en décide ? De quel droit ? De quel
point de vue ? Dans quelles limites ? On a besoin de fins moins simples ou
moins hasardeuses.
Cela pose mille problèmes, qui font l'objet de ce livre. Ils touchent à la décision
médicale, à l'éthique, à la philosophie, à l'humanité... Faut-il mettre
la vie plus haut que tout ? La liberté plus haut que tout ? Le bien-être ?
Le devoir ? L'amour ? La compassion ? Le débat fait partie de l'éthique, au
même titre que la responsabilité individuelle, qu'il n'annule pas et qui ne
saurait en tenir lieu. À chacun donc de juger, toujours au cas par cas, et en
tenant compte aussi du point de vue des autres. Cet ouvrage y aidera.
Il apporte de la complexité, de l'intelligence, de l'hésitation, de l'interrogation,
et c'est de quoi médecins, patients et familles ont le plus besoin, même, et
surtout, lorsqu'ils sont avides de certitudes.
André Comte-Sponville