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Si l'on admet, comme invite à le faire la théorie réaliste de l'interprétation, que
les acteurs juridiques sont libres d'interpréter les énoncés juridiques, il faut
convenir aussi qu'ils auraient le pouvoir d'agir selon leurs caprices. Une décision
capricieuse reste valide tant qu'aucun acteur n'a la compétence juridique de
l'invalider. Pourtant, nous savons bien, nous juristes, que les acteurs juridiques
n'usent pas de leur pouvoir n'importe comment. L'élaboration d'une théorie
des contraintes juridiques a pour objectif de contribuer à la résolution de ce
paradoxe.
Dans la vie juridique, comme dans la vie sociale, économique ou politique,
l'usage de la liberté ou du pouvoir est déterminé par certains facteurs qui contraignent
les acteurs à agir comme ils le font plutôt qu'autrement. De
multiples facteurs peuvent expliquer une décision. Beaucoup sont externes au
système juridique. Les théories réalistes qui se sont développées aux États-Unis
au milieu du XXe siècle ont ainsi invité à prendre en considération des facteurs
sociologiques ou psychologiques pour expliquer et prévoir les décisions des
juges, depuis leur appartenance religieuse, jusqu'à la qualité de leur petit-déjeuner.
L'hypothèse de la théorie des contraintes juridiques est que, à côté de
ces facteurs extra-juridiques, il en existe d'autres, internes, c'est-à-dire qui
résultent uniquement de la configuration du système juridique.
Dans les systèmes juridiques, comme dans le monde social, l'existence de
contraintes est liée à l'existence d'une pluralité d'acteurs qui disposent de moyens
d'agir les uns contre les autres et ont la volonté que leurs décisions soient respectées.
Chaque acteur doit alors - le «doit» renvoyant non pas à une obligation
mais à une contrainte - tenir compte des moyens que le système attribue aux
autres acteurs et anticiper la façon dont ceux-ci peuvent s'en servir.