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L'un des traits distinctifs de la vie
moderne est qu'elle dispense d'innombrables
occasions de considérer (à distance,
à travers le support de l'appareil
photographique) les horreurs qui adviennent
dans toutes les parties du monde.
Les images d'atrocités sont devenues,
par le biais de l'écran de télévision ou
d'ordinateur, une sorte de lieu commun.
Mais la description de la cruauté
a-t-elle pour conséquence d'immuniser
les spectateurs contre la violence ou de
les y inciter ? Leur perception de la réalité
est-elle érodée par le barrage quotidien
des images ? Que signifie se sentir
concerné par les souffrances des gens
dans des zones de conflit lointaines ?
Il y a vingt-cinq ans, l'essai désormais
classique de Susan Sontag, Sur la photographie,
définissait les termes du débat.
Le présent livre s'attache à reconsidérer
en profondeur l'interaction qui
s'opère entre l'«actualité», l'art et la
manière dont nous comprenons la description
contemporaine de la guerre et
du désastre. On prête volontiers aux
images le pouvoir d'inspirer la protestation,
d'engendrer la violence ou de
produire l'apathie : autant de thèses que
Susan Sontag réévalue en retraçant la
longue histoire de la représentation de la
douleur des autres - depuis Désastres de
la guerre de Goya jusqu'aux documents
photographiques de la Guerre de Sécession,
de la Première Guerre mondiale,
du lynchage des Noirs dans le sud des
États-Unis, de la guerre civile espagnole,
des camps de concentration
nazis jusqu'aux images contemporaines
venues de Bosnie, de Sierra Leone, du
Rwanda, d'Israël et de Palestine, ou de
New York, le 11 septembre 2001.
Ce livre nous parle aussi de la
manière dont on fait (et comprend) la
guerre aujourd'hui, convoquant nombre
d'exemples empruntés à l'histoire et
quantité de thèses émanant de sources
littéraires inattendues. Platon, Léonard
de Vinci, Edmund Burke, Wordsworth,
Baudelaire et Virginia Woolf participent
tous à cette passionnante réflexion sur
la vision moderne de la violence et de
l'atrocité. L'ouvrage contient aussi une
critique virulente du provincialisme de
certains «experts» médiatiques qui
dénigrent la réalité de la guerre et substituent
à une intelligence politique du
conflit un discours désinvolte prônant
l'existence d'une nouvelle «société du
spectacle» universelle. De même que
Sur la photographie nous invitait à
repenser la nature de notre modernité,
Devant la douleur des autres modifiera
notre appréciation non seulement des
usages et de la signification des images,
mais aussi de la nature de la guerre, des
limites de la compassion et des obligations
de la conscience.
Susan Sontag a récemment publié un
recueil d'essais Where the Stress Falls
(à paraître chez Christian Bourgois éditeur
en 2004), et un roman En Amérique
(Christian Bourgois éditeur, 2000), qui
lui a valu le National Book Award en
2000. Elle est aussi l'auteur de trois
romans, d'un recueil de nouvelles, de
pièces de théâtre et de cinq essais,
parmi lesquels Sur la photographie
(Christian Bourgois éditeur) et La
Maladie comme métaphore (Christian
Bourgois éditeur). Elle a reçu en 2001 le
prix de Jérusalem pour l'ensemble de
son oeuvre et en 2003 le prix du Prince
des Asturies et le prix de la Paix des
libraires allemands.