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L'ouvrage de Jean Laude, magistralement documenté et riche de
références aux «arts premiers», analyse les rapports complexes
entre la peinture française et l'art africain au début du siècle dernier.
Au terme de son étude, l'auteur évoque la fameuse déclaration de
Picasso : «L'art nègre ? Connais pas». Il précise : «Il n'y a pas d'art
nègre, mais une manifestation du génie humain qui, à la suite des
circonstances, s'est exprimée et développée en Afrique». Jean Laude
règle ainsi son sort au mythe du masque fang qui, selon Vlaminck,
aurait, à la fois, engendré le cubisme et favorisé la naissance du
fauvisme. Il ne nie certes pas l'influence que l'Afrique exerça sur les
peintres entre 1905 et 1914 - années décisives -, mais il insiste surtout
sur l'idée que la fascination et la passion pour l'«art nègre» furent
d'autant plus vives qu'elles répondaient à la curiosité esthétique de
quelques peintres capables, à l'époque, de saisir et d'intégrer dans
leurs propres recherches picturales les caractéristiques formelles
des statuettes et des masques africains.
Près de quarante ans après sa première édition, le livre de Jean
Laude témoigne d'une perspicacité particulière au regard des
questions cruciales que posent aujourd'hui encore, et sans doute
plus que jamais, les relations entre l'art contemporain occidental
et les sociétés post-coloniales : «La vie moderne, la nécessité des
échanges et des communications exigent que tout un secteur de
l'activité humaine soit normalisé, standardisé. [...] Provisoirement,
le temps d'une adaptation que l'on imagine fort courte, ne sont
conservés que les aspects, de plus en plus extérieurs, folklorisants,
de ce qui faisait la spécificité des cultures : de leurs modes, de vie,
de leurs coutumes, de leurs arts, voire même de leur pensée».
Cette réflexion prémonitoire de Jean Laude confère à l'ouvrage
sa véritable dimension humaniste et universaliste, loin de tout
ethnocentrisme et dans le souci permanent de percevoir et de
reconnaître pleinement l'autre dans et avec sa différence.
Marc Jimenez