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Où situer l'instant de la genèse de la police scientifique et technique ? Faut-il en faire
remonter l'origine à l'anthropométrie et aux procédures signalétiques inventées à
Paris par A. Bertillon dans les années 1880-1890 ? Doit-on plutôt prendre en compte
l'institutionnalisation académique de la discipline et choisir pour point de départ la
création d'un diplôme universitaire à Lausanne en 1909 ? Ou se tourner vers un filon
plus ancien encore en mettant l'accent sur le rôle des auteurs de romans policiers ou
sur les avancées des médecins légistes en matière de constatation de l'identité ? Et que
dire alors des auteurs médiévaux de traités de chasse qui écrivent des chapitres si
détaillés sur l'analyse des traces du gibier pour aiguiser le regard cynégétique ?
Cette étude prend le parti de ne pas se limiter à une analyse de la phase institutionnelle
de la police scientifique et technique européenne, caractérisée par la création
d'instituts académiques, de chaires, de laboratoires et d'écoles de police. Dans l'optique
panoramique proposée ici, il s'agit de partir bien en amont de ces filières d'enseignements
spécialisés et de ces structures académiques ou policières.
La naissance du regard indicial et de ses évolutions inscrites dans la longue durée
forme le fil rouge de l'ouvrage. Cette enquête débute avec l'étude des traités médiévaux
de chasse où l'on détecte les prémices des techniques d'identification à partir des
traces de pattes. Ainsi, on évite de créditer les hommes de laboratoire du début du
XXe siècle de tous les mérites dans la naissance de la criminalistique. Certes, cette discipline
leur doit beaucoup, notamment son ancrage institutionnel, la mise sur pied de
cursus, de manuels, de revues spécialisées, de colloques et de techniques, mais
d'autres acteurs les ont devancés en s'adonnant à des pratiques indiciales dignes d'intérêt.
Il nous a donc paru juste de braquer la lumière de notre projecteur sur leur
contribution en sortant du champ proprement scientifique.
Parmi ces hommes ayant conçu et appliqué des techniques d'identification figurent les
chasseurs d'animaux et de sorcières, les physiognomonistes, les photographes, les chimistes,
les médecins légistes, les littérateurs, les anthropologues, les critiques d'art,
les policiers et les psychologues expérimentaux. Pour éviter que la diversité des
acteurs impliqués dans l'émergence de ce processus indicial ne nous fasse perdre de
vue notre objet d'études, nous avons gardé comme thème unificateur les modalités du
regard porté sur le corps à des fins signalétiques.
Nous achevons notre parcours par une étude de cas consacrée à la fondation de l'Institut
de police scientifique de Lausanne et à son premier directeur, Rodolphe Archibald
Reiss, personnage incontournable de la criminalistique en Europe, tant il donne les
impulsions décisives à l'essor de sa discipline et cumule de casquettes : photographe,
chercheur, professeur, rédacteur, expert, vulgarisateur, organisateur, et bâtisseur.