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«Je regarde une fois de plus tout au travers de ce pays qui est le
mien, des sources du Rhône à un de ses bouts, et jusqu'à l'autre de
ses bouts, où le Rhône quitte ce pays, étant bleu et jaune entre des
falaises. De l'endroit où il est encore à son berceau, et sort le pied
timidement de son berceau, s'agitant entre des rideaux de soie
verte et de dentelle blanche ; jusqu'à l'endroit de son adolescence,
où il part en sifflant, les mains dans les poches, à la découverte du
monde» (Besoin de grandeur).
A la suite de Taille de l'homme (1933) et de Questions (1935),
Ramuz publie en 1937 Besoin de grandeur. Il y scrute fiévreusement
son pays et les réactions que suscite la montée des totalitarismes
en Europe ; avec des accents parfois angoissés, l'écrivain, alors au
sommet de sa notoriété aussi bien en Suisse qu'en France, cherche
une espérance différente de celle que prétendent offrir les idéologies
de son temps. Il en appelle aux valeurs paysannes de ceux
qui vivent encore au contact de la nature, à leur «grandeur cachée»
qu'il aimerait voir s'exprimer.
Les textes réunis dans ce volume ont en commun l'attention
portée au pays : leur fonction est à la fois identitaire - ce qui
contribuera à faire de Ramuz le «chantre» d'une société largement
idéalisée - et poétique. Car le pays, aux frontières variables mais
toujours inscrites dans la topographie, est aussi l'espace de
l'imaginaire et de l'écriture, le rêve d'une langue capable de dire
le contact immédiat avec les choses - et de le faire partager. Et si
l'écrivain admet, à demi-mot, qu'il s'est inventé le pays dont
il avait besoin, il revendique également et par-dessus tout le droit
à l'invention et à l'expression, un droit fondé «sur les yeux et
le coeur».