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Pendant près de deux siècles, la «question sociale» s'est confondue
avec la question de la propriété, ou plus exactement avec celle
de sa légitimité. Tel auteur affirme que c'est l'âme de la législation.
Tel autre que c'est le vol. On dispute de ses origines et de ses
limites, parfois de son abolition. Mais à travers la violence de la
querelle, partisans et détracteurs de l'institution s'en font la même
idée : un droit absolu d'une personne sur une chose. Or il se trouve
que cette définition, empruntée à la dogmatique juridique, est
devenue largement inopérante. Les spécialistes préfèrent désormais
parler de secret, d'exclusivité ou de faisceau de droits, et
certains suggèrent même la «désintégration» de la propriété.
Il reste que si un dogme propriétaire s'est désintégré, la chose
elle-même, sous quelque forme que ce soit, se porte fort bien,
et continue de poser d'épineuses questions de justice - sociale
notamment. C'est dire que s'offre enfin la chance que soit posée,
dans toute sa radicalité conceptuelle, la question de savoir ce
qu'est la propriété.
Pour y répondre, une enquête est menée dans ce livre aux sources
du droit de propriété moderne, du côté des premiers commentateurs
du Code Napoléon. Au-delà des déclamations idéologiques
des préfaces, elle s'aventure là où opère vraiment la créativité
conceptuelle des juristes, dans l'élément technique du droit.
Il apparaît alors que la propriété désigne soit une maîtrise souveraine,
droit réel et absolu de l'esprit sur la matière, soit l'appartenance
patrimoniale, rapport d'identité pensé dans les termes
de l'avoir, soit enfin une réservation de jouissance, monopole
d'exploitation octroyé en rémunération d'une activité productrice
de valeur.