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Aujourd'hui, les élèves sont devenus
des «apprenants». Cette centration sur
les apprentissages et donc sur la didactique
qui les organise pourrait, si l'on n'y
prend garde, être l'étape ultime de la
dénégation du sujet : si l'apprenant n'apprend
pas, s'il ne veut ou ne peut
apprendre, quelle identité lui reste-t-il ?
Identifier l'élève à l'apprenant, c'est
empêcher de penser la distance entre le
rôle que les adultes lui attribuent et ce
qu'il en fait, c'est oublier que le métier
d'élève est assigné aux enfants et aux
adolescents comme un métier statutaire,
à la manière dont un adulte est mobilisé
par l'État dans un jury ou une armée.
Juridiquement, le travail scolaire est plus
proche des travaux forcés que de la profession
librement choisie. Une fraction des
élèves font de nécessité vertu et trouvent
leur compte dans la scolaristion ; d'autres
résistent ouvertement et déclenchent les
foudres de ceux qui leur «veulent du
bien» ; d'autres encore feignent l'adhésion
et jouent avec les règles.
Idéalement, le métier d'élève les invite
à travailler pour apprendre. En réalité, on
demande aussi aux enfants et adolescents
de travailler pour être occupés, pour
rendre des textes, des exercices, des problèmes
vérifiables, pour être évalués,
pour contribuer au bon fonctionnement
didactique, pour rassurer leurs maîtres et
leurs parents. On les invite à suivre des
routines et des règles qui visent parfois à
optimiser les apprentissages et le développement
intellectuel, mais parfois, plus
prosaïquement, à assurer le silence,
l'ordre et la discipline, à faciliter la
coexistence pacifique dans un espace
clos, à garantir le respect des programmes,
le bon usage des moyens, l'autorité
du maître.
Une sociologie du métier d'élève est à
la fois une sociologie du travail scolaire,
de l'organisation éducative et du curriculum
réel. Elle s'intéresse aux tâches et
aux contraintes qu'on assigne effectivement
aux élèves. Elle analyse leurs tactiques
et leurs stratégies, la façon dont ils
prennent des distances face aux attentes
des adultes et rusent avec leur pouvoir
dans la famille ou dans l'école. Elle
éclaire les contenus concrets de la culture
scolaire telle qu'elle est transposée et
s'incarne au jour le jour dans les classes.
Enfin, elle s'intéresse au sens que donnent
les élèves au travail quotidien, en
fonction de leur héritage culturel aussi
bien que des situations dans lesquelles on
les place et du pouvoir qu'on leur
concède.