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Il s'agit dans ce livre d'approcher une langue, la
«langue-française-à-l'écran», que l'on n'entend
qu'au cinéma. À partir d'une trentaine de films
depuis les débuts du parlant jusqu'à aujourd'hui,
organisés chronologiquement, Michel Chion
consacre cet essai à la lettre des films, à leur texte, au «ras du signifiant»,
comme les dialogues permettent de le mettre en ayant. Mais pourquoi Cyrano de
Bergerac ? et de quel complexe souffre ce héros national ?
Le Cyrano de Rostand est un individualiste écorché qui joue de la bravoure verbale,
lance des défis alors qu'il est tout autant fasciné par l'échec : il brille par ses
mots, mais il perd tout et s'en vante. Comme si le langage servait moins à obtenir
une chose qu'à l'affirmer, tout simplement. En cela il est représentatif de
nombre de personnages du cinéma français, perdants au verbe haut ou perdants
piteux, mais perdants avant tout sur le plan du langage. Pour citer quelques
exemples : la mort le défi aux lèvres de Michel Poiccard dans A bout de souffle ;
Alexandre le dandy du film d'Eustache La Maman et la Putain, Louis Jouvet dans
Hôtel du Nord, Arletty solitaire malgré sa gouaille dans Les Enfants du paradis,
le De Boeldieu de La Grande Illusion que ni ses formules caustiques ni ses gants
blancs n'empêcheront de se faire tuer, Le Corbeau qui tue et se fait assassiner pour
des phrases ; même Antoine Doinel et l'Antoine de La Discrète, hâbleurs plutôt
que gagneurs. Et que dire de Brice de Nice, éternel perdant...
Ce fil conducteur amène à tracer de nouvelles correspondances entre des films
qui témoignent des mêmes problématiques quant ils paraissaient si opposés. Les
hiérarchies sont bousculées et le décalage du point de vue adopté par l'auteur révèle
une certaine unité du cinéma français, fait ressortir ses constances à travers
l'histoire et ses ruptures. Une vision neuve pour mieux goûter les savoureux dialogues
du cinéma français qui émaillent le propos.