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Pierrot, fantasque serial killer : tel est le portrait, inquiétant et inédit, du
bouffon né dans la Commedia dell'arte que la Décadence proposa à un
public incrédule. Si le grand mime Deburau avait déjà donné, dans les
années 1820-1830, ses lettres de noblesse littéraire au coup de pied au cul,
en séduisant les Nodier, Nerval ou Gautier, la pantomime fin-de-siècle se
transforme en l'écho instable des questionnements et errances qui
passionnent l'époque et ses esthètes.
La joyeuse cabriole n'est déjà plus, remplacée par une électrique
trépidation clownesque qu'il est tentant de ranger aux côtés des
pathologies alors en vogue, névrose ou hystérie... Pierrot le lunatique
traverse désormais la ville vêtu de noir, comme en un impersonnel deuil,
stigmate de sa mélancolie. Il est cet être de fuite, souvent tenté de
retourner contre lui-même les pulsions meurtrières suscitées par
Colombine, la cruelle femme fatale.
Dix-sept pantomimes retracent ici ce portrait de la fin du XIXe siècle
écartelé entre Naturalisme et Symbolisme : textes méconnus de Verlaine,
Laforgue ou Huysmans, textes retrouvés de Jean Richepin ou Paul
Margueritte interrogent la notion même de représentation et les pseudo
valeurs d'un monde en quête de repères neufs. La complexité troublée du
personnage de Pierrot y apparaît comme une réponse, parmi les plus
captivantes, apportée à cette crise du sujet qui fit basculer le XIXe siècle
dans la Modernité. C'est un rire anxieux de s'apercevoir tragique qui
résonne ainsi tout au long de cette anthologie, et qui annonce la densité
silencieuse d'un Buster Keaton au cinéma.