Read more
" Mesdames et messieurs, Je me souviens de l'émotion terrible qui m'écrasait, il y a dix-huit mois, quand j'eus l'honneur de paraître devant vous, pour la première fois, comme conférencier.
Ce nom de conférencier me tuait ; la nuit, je ne rêvais plus que conférences ; je voyais d'immenses verres d'eau me poursuivre, de grandes petites cuillers qui dansaient autour de moi, de lourds sucriers qui allaient m'aplatir, et une carafe gigantesque qui me douchait ; je voulais proférer un son... rien ! Le public me criait : °A la porte !" C'était épouvantable. Aujourd'hui, plus d'émotion : j'ai découvert que je n'étais pas du tout conférencier ; il y a des gens qui sont tellement conférenciers qu'ils ont l'air d'être venus au monde en habit noir et en cravate blanche ; ce n'est pas moi.
Moi je ne veux être (si je peux) qu'un amuseur (ce n'est pas la même chose qu'un conférencier) ;je ne veux être qu'un bon enfant. Je voudrais avoir le droit de mettre sur ma carte de visite : Coquelin Cadet, bon enfant, car alors je n'aurais pas de phrases à faire, et que ce que j'ai à vous dire serait la conversation qu'on a avec un ami qui vous est cher et de qui l'on attend une sincère bienveillance.
(Il boit.) Je ne sais pas pourquoi je bois, je n'ai pas soif enfin ! c'est la maison qui veut ça !... Il faut avouer vraiment que le monologue entre de plus en plus dans nos moeurs . Je parle du monologue dont Charles Cros est la mère, et moi, si j'ose m'exprimer ainsi, la sage-femme ; de ce monologue particulier, enfant bizarrement conformé, dont le premier bégaiement a été le Hareng Saur. [... ] Extrait du Monologue moderne, par Coquelin Cadet, 1881.