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L'un des plus grands romans de Vicki Baum (1924), dans sa veine la
plus sombre, la plus «mal-pensante».
Ulle (diminutif d'Ulrich), un gamin qui ne veut pas grandir, est la tête
de Turc de son quartier - on est dans une petite ville encore marquée
par l'esprit de la vieille Allemagne. Le gamin fait tôt l'apprentissage de
la solitude et de la honte assumée, sinon acceptée. A dix ans, il lui faut
bien admettre l'évidence : il est nain, et devra continuer de subir sa vie
durant quolibets, rebuffades, désamour... Sauvé par le cirque où il se
produit comme acrobate, puis par le théâtre, il en vient, l'âge venu
- non sans avoir manqué lui-même de s'égarer à l'heure du succès -, le
coeur toujours blessé mais presque réconcilié avec lui-même, à attendre
la fin comme une délivrance : la mort bientôt, demain peut-être, le
rendra l'égal de tous...
La dernière page tournée, on pense à Poil de Carotte, à Freaks
(l'évocation du monde du cirque est un grand moment du livre)...
mais, surtout, on ne peut s'empêcher de songer au Tambour de Günter
Grass, qui dans le même sillage sut évoquer lui aussi la grandeur et la
détresse d'un destin voué à cheminer au ras des pâquerettes.
Car c'est ainsi que les petits sont grands ! Ce que n'étaient certes pas
près d'admettre, à l'époque, les amis d'un certain Adolf Hitler, qui
n'en était alors qu'à monter sur la table dans les brasseries pour
demander qu'on l'aide à débarrasser la terre de tous les «avortons».