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Un obscur médecin de la province méridionale de la France, originaire d'Uzès dans le
Gard, ancien élève et «Docteur de la Faculté de Montpellier», Antoine Maubec, dont on
sait très peu de choses, est un homme modeste et d'attitude obséquieuse envers ses supérieurs.
Après son doctorat en 1697, il débarque à Paris, au début du XVIIIe siècle, vraisemblablement
à la suite de la cohorte de son maître, Pierre Chirac, puissant «mandarin» de
la faculté, appelé parmi les médecins de la cour du Roi Soleil. Maubec deviendra bientôt
«Médecin ordinaire de S.A.R. Madame», soeur de Louis XIV. Ce personnage représente
au mieux le genre de «médecin ordinaire», justement, qui a fait ses études dans l'une des
plus célèbres et anciennes facultés de l'Occident, et qui poursuit sa carrière au milieu
d'une tradition qui voulait que depuis des siècles, dès l'époque de Rabelais et même avant,
les «Médecins du Roi» étaient des montpelliérains.
Comment étudiait-on la médecine à Montpellier au tournant du XVIIe siècle, avant
l'édit de Louis XIV de 1707 qui réglementa le régime des études de manière uniforme
dans toute la France ? Quel était le parcours de formation des ces médecins montpelliérains
et «étrangers» - la faculté accueillait des nombreux étudiants de l'Europe entière -
qui devenaient, après, des fonctionnaires d'État parmi les mieux payés ? Le milieu universitaire
était le plus libre : un régime d'organisation «démocratique» permettait, même à
l'intérieur d'un cadre institutionnel scolastique qui affichait la fidélité à la Tradition
d'Hippocrate (célèbre la devise immodeste : Olim Cous, nunc Monspeliensis Hippocrates
!), le développement de l'expérimentalisme et des recherches les plus audaces,
hors du contexte pédagogique.
Les Principes physiques de la raison et des passions des hommes, parus à Paris en
1709, sont l'une des expressions les plus éloquentes de cet «esprit philosophique», d'une
recherche médicale rationnelle guidée par son télos infini, qui déborde souvent et volontiers
hors des cadres de l'orthodoxie. Le point de départ est la médecine cartésienne, ce
«paradigme mécaniste» inauguré par Harvey, Descartes et Willis, que notre auteur prend
comme cible de sa critique. L'homme «physique» et l'homme «moral» ne font qu'un. Le
but du médecin-philosophe, ici, faisant sienne une approche sceptique concernant la
nature du «principe premier» qui gouverne nos actions, est de montrer «que les inclinations
de la volonté & les pensées de l'entendement sont des suites naturelles de la disposition
des organes du corps». Voilà une affirmation claire, d'un «programme de
recherche» qui sera suivi par une large partie de la médecine philosophique du siècle des
Lumières, de La Mettrie à Bordeu, de Diderot à d'Holbach («élèves» des montpelliérains),
jusqu'à Barthez, Bichat et Magendie. C'est une page importante de l'histoire de la culture
philosophique et médicale du XVIIIe siècle.