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Ce qui constitue aujourd'hui pour nous l'oeuvre de Mme de Sévigné
est le résultat de la rencontre improbable entre une correspondance
privée et un vaste public. Beaucoup se sont penchés sur le mystère
de cette mutation d'un texte, en interrogeant principalement l'histoire
des publications successives et de la réception. La Conquête de
l'intime offre une perspective nouvelle sur la Correspondance, à travers
une analyse génétique prenant d'abord en compte l'espace
double, à la fois public et privé, dans lequel naît le discours épistolaire.
Contrairement à notre conception moderne, la distinction de ces
sphères, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, reste encore inachevée
et laisse subsister de nombreux espaces indifférenciés. L'art de
l'épistolière consiste à explorer ces nouvelles lignes de partage lors
d'incessants aller-retour : public et privé, c'est-à-dire aussi
contraintes et libertés, extérieur et intérieur, rhétorique et création.
Là se situe le principe dynamique d'une oeuvre en mouvement,
réfractaire aux interprétations univoques. Sans jamais renoncer au
bruissement des nouvelles, aux conventions du monde ni au modèle
conversationnel, Mme de Sévigné parvient à faire de la lettre un
refuge de l'intime, l'instrument privilégié d'une construction de soi.
Ce pari ambitieux suscite de multiples interrogations : comment
une forme d'écriture relevant d'un usage étroitement codifié parvient-elle
à donner corps à l'intime ? Quels codes inédits ont rendu
possible ce détournement d'un genre ? Quelles nouvelles formes
d'expression ont pu pallier les lacunes de la langue pour aborder la
vie affective ? Le subtil enchevêtrement du public et du privé, de la
norme et des libertés, nous conduira ainsi jusque dans les arcanes
du laboratoire de l'oeuvre.