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Les chansons de geste françaises, occitanes, italiennes et espagnoles
forment un vaste corpus difficile à interpréter, et d'où n'émergent
encore aujourd'hui, aux yeux d'un public cultivé, que la Chanson
de Roland et quelques aventures de Guillaume d'Orange. Le
foisonnement des textes (plus de cent), des personnages héroïques,
des situations dans lesquelles sont pris Charlemagne et ses braves
guerriers, les Aymerides, ou le lignage de Ganelon le perfide, pose
toutes sortes de problèmes complexes qui semblent souvent interdire
une approche d'ensemble du phénomène épique.
Les avancées de la mythologie comparée fournissent pourtant peu
à peu les moyens de mieux cerner cette riche littérature, qui se révèle
hantée par des figures mythiques totalement inattendues, surgies d'un
lointain passé. Parmi elles, l'ours ; objet de croyances partagées par
différents peuples eurasiatiques et américains, cet animal a su léguer
une part de ses habitudes, son nom, sa démarche ou sa force à de
nombreux héros épiques, tels Orson de Beauvais, ou Guillaume
d'Orange soi-même, qui trahit dans son surnom bien connu (Fierebrace,
«à l'étreinte sauvage») ses accointances avec le plantigrade. La
mythologie de l'ours structure en profondeur l'imaginaire épique
médiéval, dont les éléments, aussi divers qu'ils soient au premier
abord, révèlent une cohérence étonnante au fur et à mesure de l'analyse.
Le rapprochement entre le corpus roman, d'autres oeuvres européennes
(en particulier germaniques), des textes beaucoup plus «exotiques»
(chinois, indiens,...), et de nombreux rites, mythes et contes
populaires marqués par la présence de l'ours apporte ainsi une foule
d'explications à propos des tribulations des héros francs, de leurs
comportements et des objets qui leur sont propres, de leur façon de
combattre, de leurs enfances, des chemins qu'ils arpentent... sans
oublier les rapports troubles qu'ils entretiennent avec l'Histoire, et qui
ont souvent masqué leur véritable origine.