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Comment dater la naissance d'une idée et d'un thème littéraire ? La
mémoire affective, que nous connaissons surtout à travers une lignée qui comprend
Rousseau et Chateaubriand, Nerval et Proust, a-t-elle une origine plus
reculée dans la littérature et la pensée du XVIIe siècle ? Déesse sans mythe,
Mnémosyne s'adapte aux âges et aux cultures avec des métamorphoses d'une
étonnante richesse. Les études sur la problématique de la mémoire au
XVIIe siècle ont exploré, jusqu'à présent, de façon privilégiée le fonctionnement
de la mémoire intellectuelle et les lieux de la mémoire culturelle. Ici, il est
question de l'«autre» mémoire, qui transparaît en filigrane à travers la
réflexion anthropologique et les textes littéraires : celle qui fait rejaillir des
sources affectives parfois secrètes, et qui joue dans l'ombre - nous disent les
moralistes - avec l'imagination et les passions.
En essayant de définir les caractères d'une «mémoire du coeur» au
XVIIe siècle, on rencontre d'ailleurs les ambivalences et la profondeur du coeur
classique, et sa mystérieuse «finesse» qui scrute l'homme, entrevoit Dieu, et
sait que les nombres sont infinis. La mémoire du coeur fait aussi vibrer cette
affectivité qui se réveille face au sacré et aux valeurs ; elle anticipe l'avenir, et,
selon les auteurs mystiques, elle se prolonge dans l'espérance. Cette étude vise
à établir des dialectiques et comme un contre-jour entre la sagesse des moralistes
et celle des auteurs spirituels, avant de prêter attention à leurs résonances
dans les grands genres littéraires. L'image de l'orgue, que nos auteurs
ont exploitée pour dire la complexité de l'être humain - notamment la transmission
de l'extérieur à l'intérieur, et le parcours de la sensation au cerveau ou
au «coeur» - préside aussi à une vision de la littérature dont de lointains ressorts,
des antécédents obscurs, expliquent parfois l'harmonie et la beauté.