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Dans son célèbre Traitté de l'esprit de l'homme (Paris, 1666), le cartésien
Louis de La Forge s'attache à réfuter, à côté d'Épicure, Tertullien,
Vorstius et Hobbes, un ouvrage prétendument intitulé Preuve de la
vraye philosophie demonstrative, que toute substance finie est corps,
qui n'avait jusqu'à présent jamais été identifié par les historiens de la
philosophie. Ce titre est en effet une déformation du Discours de vraye
philosophie demonstrative publié anonymement en 1628 par le médecin
huguenot Gabriel Poitevin, originaire de Mornac, en Saintonge, «discours»
qui est la traduction, avec de notables remaniements, du Clangor
Buccinae ad philosophos sublimiores que Poitevin avait fait paraître
en 1624, cette fois sous son nom, en le dédiant au quadrateur illuminé
Paul Yvon, sieur de Laleu, oncle de Tallemant des Réaux. Ces deux versions
sont ici publiées en regard.
En présentant l'ouvrage, Sylvain Matton étudie le milieu intellectuel
de Poitevin et la réception (hostile) de sa thèse posant que tous les êtres
finis sont des corps (les anges comme les âmes, les pensées, les espèces
intentionnelles, la lumière, les influences célestes, l'attraction magnétique,
le point mathématique, la qualité, la matière ou la forme) et que
Dieu seul, étant infini, est incorporel. Il montre que cette thèse était
cependant propre à un certain «matérialisme chrétien» illustré dès le
Ve siècle par l'évêque Fauste de Riez, renouvelé à la Renaissance par le
commentateur du Pimandre François de Foix-Candale et surtout par
Bodin et Charron (qui puisèrent dans les spéculations de la première et
de la seconde scolastique), pour être finalement éclipsé par les matérialismes
antireligieux des Lumières. Il examine aussi les très probables
influences sur Poitevin d'un traité alchimique médiéval, le Clangor buccinae
de lapide benedicto philosophico, et de l'arithmologie pythagoricienne,
qui se mêleraient à celle, indéniable, des spéculations théologico-mathématiques
de Paul Yvon (dont on trouvera le Discours
mathematic de 1623 reproduit en annexe).
C'est ainsi tout un courant oublié de l'histoire des idées que nous invite
à explorer la redécouverte de l'oeuvre singulière de Gabriel Poitevin.