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La présente édition achève d'offrir au lecteur les pages
qu'Étienne Tabourot a publiées sous le titre-fétiche de Bigarrures. Ce
«Quatrième Livre» paraît en 1585, alors que seul un Premier Livre
avait paru, en 1583, et que les deuxième et troisième Livres n'ont
jamais vu le jour. Le «quatrième» succède ainsi au premier, séparé
de lui par deux Livres fantômes : premier ébranlement de la
logique, ou de la méthode, dont l'ouvrage donnera d'autres exemples.
Bénévole mais perplexe, le lecteur se demande aussi où commence
et finit ce Quatrième Livre : ne se compose-t-il strictement que des
quatre chapitres qui en forment le corps - ou de l'ensemble constitué
par ces chapitres et par les Apophthegmes du Sr Gaulard, que
Tabourot déclare y avoir «entremêlés» mais qui s'ouvrent sur un
titre séparé ? Nous avons retenu la seconde hypothèse, qui va dans
le sens de la bigarrure. Bigarrée est, en effet, la nature de ce texte :
les quatre discours («essais» ?) sur l'éducation des enfants, sur le
problème juridique de la distinction des «ordres» dans la société,
sur les acquis de la versification française au cours du siècle, enfin
sur l'«imposture» des «faux sorciers», touchent des sujets sérieux,
qui contrastent avec le Livre I des Bigarrures («grammaire plaisante»,
du propre aveu de l'auteur, voire folâtre) ; même bigarrure
dans la diversité des thèmes abordés, bigarrure enfin dans la
conjonction de ces quatre sujets de société (traités avec une certaine
gravité) avec les Apophthegmes, vaste répertoire de blagues
où le bon sens le plus solide s'associe avec un défi à la logique parfois
vertigineux. Ainsi la facétie (celle du Livre I et celle des
Apophthegmes) encadre les discours sérieux, en partie imités des
Essais de Montaigne. Tabourot a-t-il voulu, lui aussi, placer des
«grotesques» autour de son panneau central ? Si, pour faire taire
les médisants, il a voulu démontrer ici qu'il savait être sérieux, il
est vrai qu'il y a réussi, mais sans renoncer à la facétie. L'édition
du Quatrième Livre des Bigarrures est donc une invitation à goûter
ce mélange savoureux, où la pertinence des analyses sociales,
poétiques ou épistémologiques voisine, pour la plus grande joie du
lecteur, avec l'impertinence copieuse du Sr. Gaulard. Ici, Rabelais
et Montaigne se regardent, obliquement.