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La France des années 2000, comme de nombreux pays,
a vu se confirmer un modèle de contrôle censé protéger
la population contre la prolifération, en son sein, de
«nouvelles menaces» : islamisme, terrorisme, immigration
clandestine, incivilités, violences urbaines... Et
pour justifier cet arsenal sécuritaire, un principe s'est
imposé : désigner l'«ennemi intérieur». Cette notion
évoque la guerre froide, quand cet ennemi était le
communisme. Et surtout les guerres coloniales
d'Indochine et d'Algérie, quand l'armée française a
conçu la «doctrine de la guerre révolutionnaire», afin
d'éradiquer au prix des pires méthodes la «gangrène
subversive pourrissant le corps national».
Si cette doctrine a été évacuée officiellement depuis
lors par l'État, certains de ses éléments clés auraient-ils
contribué à façonner cette grille de lecture sécuritaire
qui présente les populations immigrées issues de
la colonisation comme les vecteurs intérieurs d'une
menace globale ? C'est ce que montre Mathieu Rigouste
dans ce livre rigoureusement documenté, en s'appuyant
notamment sur un corpus d'archives conservées à
l'École militaire.
Retraçant l'évolution des représentations de l'ennemi
intérieur dans la pensée d'État depuis les années 1960,
il explique comment, des territoires colonisés d'hier
aux quartiers populaires d'aujourd'hui, la Ve République
a régénéré un modèle d'encadrement fondé sur la désignation
d'un bouc émissaire socio-ethnique. À travers
l'étude minutieuse des étapes de la lutte antimigratoire
et de la structuration de l'antiterrorisme, il révèle
l'effrayante évolution du contrôle intérieur, de ses dimensions
médiatiques et économiques, ainsi que la fonction
de l'idéologie identitaire dans la mise en oeuvre du
nouvel ordre sécuritaire.