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«Je cherche à penser, dis-je à Dagerman, je cherche à penser
que penser peut décider de tout. Non pas peut-être tout toujours,
mais tout une fois au moins. S'il y a rien que je puisse vouloir
encore, c'est cela. Voilà pourquoi je suis ici. Voilà pourquoi
j'ai, pour un moment au moins, tout arrêté. Parce que je veux
croire que penser ne compte pas moins, pour celui qui pense,
que croire pour celui qui croit. N'est pas moins fait pour emporter
ce qui reste avec soi. Si je suis ici, venu vite, pour je ne sais pas
combien de temps, c'est pour penser, dis-je à Dagerman, quand
bien même je ne sais pas ce qu'il faut que je pense ni si je
le puis. C'est parce que je crois que penser est possible et
n'est pas indifférent. C'est parce que je crois que je penserai
différemment selon que je serai ici ou selon que je serai à Paris.
Je dis aussi : je me mets à la merci de la pensée. Je veux en
faire l'expérience. L'expérience de la pensée, dit Dagerman, ce
n'est pas cela dont il n'y a personne à ne se croire capable, c'est
cela dont il n'y a personne à réellement croire capable la pensée.
Que veulent ceux qui pensent ? Que penser les justifie. Que ne
veulent-ils pas ? Que penser coûte à ce qu'ils sont la justification
qui les fait l'être.»