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«Le petit trou était entre mes pieds. Bien au milieu. Et mes
pieds pendaient dans le vide. J'étais petite. J'étais grande
comme une personne âgée de 6 ans. Ce petit trou était immense :
à travers lui défilaient des kilomètres de goudron.
Petite, j'ai vu la terre d'Afrique. Et pas celle d'Afrique du Nord,
non, celle d'Afrique noire, celle où habitent des lions. En descendant
de l'avion, nous avons pris un taxi, et le trou dans le
plancher de ce taxi, ce petit trou que j'ai fixé des yeux pendant
des kilomètres de routes africaines, était d'un exotisme étourdissant,
hypnotique. [...]
Je comprends aujourd'hui que de ces voyages il me reste tout.
Mon corps de bébé a été baigné de chaleur tropicale. J'ai fait
des pas incertains sur le sable, sous le soleil. J'ai barboté sans
frissonner dans l'eau tiède et claire de la mer. J'ai avalé des épices,
enflammé mon palais. J'ai fait des siestes à l'ombre des persiennes
et sué dans mes draps.
Ma grand-mère était antillaise, mon père est cambré et je brunis
au soleil.
Le tronc des cocotiers et leur grâce de cou de girafe. Le marché
aux poissons et la glace qui fond sur les étals. Le rhum. L'odeur
de la canne à sucre coupée. Il me reste cette familiarité-là. Des
couleurs, des couleurs.»