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Cet essai se veut la première synthèse proposant de mesurer les
mutations que la notion de sacrifice subit de la fin du XVIIe siècle au
début du XIXe, et les conditions de sa représentation, toujours chevillée
à la double polarité de la source antique et de la source biblique.
À partir des années 1670, que caractérise une crise de la conscience
européenne, la représentation de la victime est promise à une évolution
: d'abord «illustre», elle devient «malheureuse», liant dès lors
intimement le sublime au pathos. Cette période semble composer
une cohérence, quand les lettres et les arts veulent infléchir le sens
chrétien et sacré du sacrifice vers un sens païen et moral. Mais cette
laïcisation du thème a eu ses limites : elle est venue se heurter à une
pensée de la victime qui ne voulait pas s'éteindre, autorisant des
tensions entre la fascination et la répulsion devant le tableau de
l'innocent sacrifié.
Une telle étude nous conduit naturellement à saisir aussi l'évolution
du genre littéraire qui a le plus illustré un thème qui lui semble
lié en propre : la tragédie, soutenue par les audaces d'un Voltaire ou
d'un Lemierre, conscients qu'un théâtre de l'oeil doit soutenir la
représentation dramatique. Si l'intérêt majeur de l'enquête réside
dans la perception d'une survie étonnante des valeurs évangéliques et
d'un imaginaire chrétien au XVIIIe siècle, elle a le mérite d'indiquer
également les conditions de mutations des genres nobles qui ont
utilisé l'imagerie du sacrifice pour nourrir à la fois imaginaire et idéologie.
Un autre intérêt réside dans l'émergence de figures mythiques
propres à une période qui ne se montre pas seulement l'héritière des
imagines majorum, mais créatrice d'images nouvelles, témoignant
d'une constante tension entre la nécessité de rester fidèle aux mythes
et celle de les interpréter.