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Les mots sont des choses curieuses dont nous nous croyons maîtres et qui, en fait, nous échappent et vivent pour leur propre compte, nous entraînant, souvent à notre corps défendant, dans les méandres du souvenir et de l'introspection. Ainsi en va-t-il des cent mots des cent chapitres du roman de Diane Schoemperlen.
Clés de la mémoire de l'héroïne, ils s'agrègent à son présent, comme la limaille de fer sur un aimant, pour former, à la façon d'un kaléidoscope, l'image d'une vie de femme, celle de Joanna, fille unique d'un couple d'ouvriers dont la mère, "constamment en colère", flanque chaque jour rageusement sur la table du dîner en arborite bleue, les assiettes en faïence à motifs écossais, tandis que le père, allongé sur le canapé, sirote du whisky jusqu'à l'hébétude et que Joanna jure en elle-même "qu'elle mourra, oui en mourra, s'il lui faut manger un repas de plus dans ces assiettes, à cette table, avec ces gens."
Ces anecdotes, à leur tour, engendrent une réflexion pleine de finesse et d'acuité, soutenue par une langue superbe, simple, claire, sans graisse superflue qui suscite tantôt l'émotion, la réflexion, l'effroi, l'attendrissement ou le fou rire, comme dans le chapitre où Joanna, au lit avec son amant, répond à un coup de téléphone de sa mère et prend en note, au beau milieu d'un orgasme, la recette du gâteau appelé "Délice Miam-Miam".
Tendres Morsures est un roman à la fois profond et drôle qui se lit comme un roman policier où les mystérieux coupables sont les "splendides terreurs de la vie quotidienne !"
