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Un matin, Leila entre dans les cuisines du palais, accompagnée du
Président. Elle nous observe les uns après les autres, puis me montre
du doigt : «C'est toi qui vas travailler pour moi, c'est celui-là que je
veux !»
C'est ainsi qu'en 1994 Lotfi Ben Chrouda se retrouve au service
personnel de Leila Ben Ali, en tant que majordome... et témoin
horrifié des pratiques de celle qui se dit «la reine de Carthage».
Magie noire, emprisonnements arbitraires, disparitions mystérieuses
: tout lui est bon pour éliminer ceux qui font barrage à
son ambition, y compris ridiculiser son époux qu'elle trompe
allègrement et dont elle va faire une marionnette. Pendant près
de deux décennies, Lotfi va assister, impuissant, aux forfaits du
couple présidentiel : dilapidation des biens publics au profit de
«la famille», expropriations, pillage des trésors archéologiques
de la Tunisie, mainmise sur les principales entreprises du pays...
De quoi se réjouir, vraiment, au cours des fêtes perpétuelles dont
Lotfi et les autres serviteurs doivent assurer le service en souriant.
Pour tous ces esclaves, se rebeller est inimaginable. Présenter
sa démission ? C'est la prison ou la mort. Lotfi Ben Chrouda y a
échappé. Il peut ainsi montrer, dans ces pages, à quels monstres
d'un autre âge le peuple tunisien était livré.
