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La science apparaît généralement comme issue d'esprits solitaires et géniaux
qui ont façonné leur époque. Cette représentation laisse cependant dans l'ombre
le travail collectif qui soutient l'entreprise de production des connaissances.
En suivant les chercheurs de plusieurs disciplines dans leurs activités
concrètes, David Pontille étudie avec minutie les négociations, les tensions et les
justifications dont la signature des publications scientifiques est l'objet. Dans un
contexte où la science est une entreprise de plus en plus collective - il n'est pas
rare que des articles arborent une centaine de noms -, l'ensemble des participants
doit s'accorder pour décider qui signe. Mais signer ne suffit pas toujours. La place
occupée par chacun dans la liste des noms revêt elle-même une importance
capitale : elle doit en effet refléter le travail exécuté et les compétences personnelles
mises en oeuvre dans le projet collectif. Enjeu de prestige, la signature est
simultanément le lieu d'expression d'un sens de la justice : l'ordre des signatures
est tenu de garantir les «bonnes» attributions.
Ce parcours dans l'activité scientifique fait apparaître la signature dans son
épaisseur pragmatique, comme une pratique où se conjuguent valeurs morales,
représentations du travail et formes de l'action en collectif. À coté de l'article
qu'elle accompagne et au-delà du contenu scientifique véhiculé, la liste des signatures
en science raconte elle aussi une histoire : chaque générique de noms garde
les traces et dit à sa manière les modes d'organisation du travail qui sont au
fondement de l'économie moderne des connaissances.